Page:Gozlan - Balzac chez lui, 1863.djvu/30

Cette page a été validée par deux contributeurs.
14
BALZAC CHEZ LUI.

répondit-il. — Vous en monterez pour deux, entendez-vous ? — Oui, monsieur. » Le garçon disparut.

Balzac alors de me dire : « Ai-je mal entendu, est-ce que vous ne lui avez pas demandé du sphinx ? — Parbleu, vous avez bien entendu ! vous vous obstinez à vouloir trouver à Saint-Cloud, dans une cabane de pêcheur, un déjeuner parisien complet, avec entremets, pièces froides, c’est absolument comme si vous demandiez du sphinx. J’ai demandé du sphinx. »

Le garçon était remonté. D’un visage parfaitement convaincu, il nous dit du haut de la première marche de l’escalier : « Monsieur, il n’y en a plus ! » Je vois encore le visage de Balzac, comprimé d’abord par l’étonnement de cette réponse, se détendre tout à coup et atteindre aux proportions lunaires d’un épanouissement produit par une irrésistible hilarité. Il jette sa serviette en l’air ; puis, s’accoudant sur la table, il rit à faire trembler la cabane du pêcheur, à faire envoler les pigeons, picorant sur les bords de la croisée. Tout rit autour de nous, parquet, plafond, bancs, banquettes, assiettes, couteaux, fourchette de plomb, tout, excepté le fils de l’aubergiste chez qui nous sommes. Il s’est pris complétement au sérieux, et sa réponse est sincère. Son maître lui avait évidemment recommandé de toujours dire, quel que