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BALZAC CHEZ LUI.

parut blafarde et forcée, et je doutai fort que Vidocq, à l’œil d’aigle, n’eût pas remarqué la fausse quiétude de notre hôte, qui, après avoir bu un grand verre de vin de Château-du-Pape, espèce de vin gros et noir qu’il prisait beaucoup, je ne sais trop pourquoi, dit au grand homme de la police : « Vous disiez donc, tantôt, monsieur Vidocq ?…

— Je disais que vous vous donnez bien du mal, monsieur de Balzac, pour créer des histoires de l’autre monde, quand la réalité est là devant vos yeux, près de votre oreille, sous votre main.

— Ah ! vous croyez à la réalité ! vous me charmez. Je ne vous aurais pas supposé si naïf. La réalité ! parlez-m’en : vous revenez de ce beau pays. Allons donc ! c’est nous qui la faisons, la réalité.

— Non, monsieur de Balzac.

— Si, monsieur Vidocq ; voyez-vous, la vraie réalité, c’est cette belle pêche de Montreuil. Celle que vous appelleriez réelle, vous, celle-là pousse naturellement dans la forêt, sur le sauvageon. Eh bien ! celle-là ne vaut rien, elle est petite, aigre, amère, impossible à manger. Mais voici la réelle, celle que je tiens, qu’on a cultivée pendant cent ans, qu’on a obtenue par certaine taille à droite ou à gauche, par certaine transplantation dans un terrain sec ou léger,