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LIVRE SECOND.

LIVRE SECOND.
Que ta fidelle amour rend auiourd’huy contente.
Apres quels longs trauaux te vois-ie en ces Climats ?
En quels Pays loin-tains.n’as-tu porté tes pas ?
Quelles courfes de Mer n’ont agitté ta vie ?
Et de quels grands perils n’a-telle efté fuiuie ?
O/quei’ay toufiours craint que l’abbord eftranger
Du Palais de Didon te iettaft au danger !
Pere, dit le Troyen, ta pafle & trifte image,
Tant de fois apparue aux riues de Cartage ;
M’a contraint à percer des chemins fi nouueaux,
Ayant au port de Cume enchaifné mes vaiffeaux.
Queie touche ta main, que ie baife ta face,
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Et permets qu’en mon fein cherement ie t’embraffe ;
Son vilage à ces mots de tendres pleurs trempant,
Autour du col chery fes deux bras il eſpand :
Mais l’idole trois fois vainement enlaffée,
S’efchappant de ce laz dans le vide eft paffée :
Comme vn fouffle de vent & le feu d’vn efclair,
Ou comme vn fongevain qui fe diffipe en l’air.
Or dans le plus profond oùle vallon s’abbaiffe,
Il aduife à l’efcart vne Foreft efpaiffe :
Son ramage gafouïlle animé d’vn doux vent :
Et le fleuue Lethé ces cantons abbreuuant,
Orne le beau feiour de la Bande diuine,
Des longs replys roulans d’vne onde eriſtaline.-
Peuples & Nations en large foule efpars,
Alentour de ces lieux volent de toutes parts :
Comme on void quelquefois les troupes des auettes
Aux beaux iours de l’Efté voler fur les fleurettes,
Ou parmy les lis blancs enceintes de leur fruit,
Dont la plaine par tout d’vn fourd murmure bruit.
Laveue eftonne Enée, & veut foudain apprendre, ,
Quelle efpece d’Efprits fur ces bords fe vient rendre, >
Pour quelle occafion, quel nom le fleuue prend,
Et
pourquoy fon abbord finombreux & fi grand,
Les Ames, dit Anchife, à qui la Deſtinées
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