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UN CŒUR VIRGINAL

Léonor, qui avait près de trente ans, paraissait de loin plus âgé et de près plus jeune. C’est qu’il était grand et un peu massif, lent en ses mouvements. De près, on était surpris de la douceur sentimentale de ses yeux, de la grâce juvénile d’une barbe qui semblait encore naissante, de la gaucherie de ses gestes, et, s’il parlait, de la timidité brusque de son langage, car il ne pouvait guère ouvrir la bouche sans rougir. Il est vrai que, l’instant d’après, il fronçait les sourcils et prenait, par tout son visage contracté, un air dur. Là dedans, les yeux restaient toujours bleus et doux. Léonor était énigmatique pour tout le monde et aussi pour lui-même. Il aimait à réfléchir et quand il songeait à l’amour, c’était pour constater que son idéal flottait entre le rêve et la débauche, entre le bonheur de baiser à genoux une main gantée et le plaisir de s’alanguir entre les chairs complaisantes de plusieurs odalisques. Il ne se doutait pas un instant qu’il était pareil à presque tous les hommes. Il avait peur de lui-même, et c’était du mépris, quand il se surprenait à songer avec trop de complaisance aux