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UN CŒUR VIRGINAL

étant une jeune fille et n’ayant que des pressentiments confus, ne sait comment hâter notre bonheur, sans quoi elle le hâterait, c’est évident. Elle est donc à moi. Je suis le maître de son heure et de la mienne. La question que j’ai à résoudre est donc celle-ci : vais-je continuer de respirer la fleur sur le rosier, ou vais-je la cueillir ? »

Cette métaphore lui parut d’une poésie un peu molle.

Alors il employa en lui-même, sans toutefois les formuler, même à mi-voix, des termes plus nets.

« Eh bien, si je la prends, je la garderai. Je n’avais jamais songé à me marier, mais il ne faut pas résister à sa vie. C’est peut-être le bonheur. Voudrais-je mettre dans ma vieillesse ce regret : le bonheur a passé à côté de moi en souriant à mon désir, et mes yeux sont restés mornes et ma bouche est restée muette ? Le bonheur, le bonheur ? Est-ce bien certain ? Le bonheur est toujours incertain. Le malheur aussi, d’ailleurs. Et il se forme, par l’amalgame de ces deux éléments, un mélange fade. »