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UN CŒUR VIRGINAL

Au retirage des places, ils furent séparés, mais pour être mieux unis, et leurs genoux bientôt se touchèrent sous la table. La partie, dans ces conditions, devenait exquise. Par contraste, Rose s’ingénia à battre son ami, cependant que sa jambe innocente le cajolait tout bas. La vie lui paraissait très agréable.

Elle s’endormit tard, un peu fiévreuse, rêvant à cette journée où elle avait si allègrement gagné le sommet de ses désirs. Elle était aimée : c’était le bonheur. Pas un instant, elle ne se demanda si elle aimait elle-même. Elle n’avait sur l’état de son cœur aucun doute.

Les réflexions de M. Hervart étaient assez différentes, et d’ailleurs d’une confusion extrême. Les femmes sont tout entières au présent ; les hommes, moins bien organisés peut-être, vivent surtout dans l’avenir. M. Hervart faisait donc des projets. Il s’endormit au milieu de ses desseins, fatigué de ne pouvoir en dresser aucun selon une perspective logique.