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UN CŒUR VIRGINAL

— Il sait tout, dit Rose, vous voyez.

Léonor, qui avait compris l’allusion, ne répondit rien. Il s’éloigna, feignant de continuer à s’intéresser à la végétation silvestre.

« Il a raison, cet homme. Si l’amour naissait en ce moment dans mon cœur, il prendrait bien mal son temps, il choisirait bien mal son terrain… Aime-t-il comme il est aimé ? Voilà ce que je voudrais savoir. Est-il capable de persévérance ? Qui sait ? Rose, peut-être qu’un jour tu pleureras dans mes bras ?… »

Ils rentraient tous les trois, Léonor un peu en avant. M. Hervart se taisait, car ce qu’il avait à dire exigeait le mystère, et des paroles banales lui étaient impossibles. Rose ne s’apercevait pas du silence ; elle-même ne songeait pas à parler. Elle était heureuse de marcher près de son ami. Parfois, d’un geste furtif, elle avançait la main et lui serrait un doigt. M. Hervart laissait exprès pendre son bras gauche. Léonor ne se retourna pas une seule fois. Rose lui en sut gré. M. Hervart, qui s’était senti deviné, eût préféré une discrétion moins voulue, moins suspecte.