Page:Gourmont - Sixtine, 1923.djvu/89

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sa violence initiale ou décomposée en l’infinité de ses décroissantes fractions. Réduire la sensation du temps à une progression évanescente, Leibniz lui en avait enseigné la méthode arithmétique : il l’appliquait à la vie. Vivre et ne pas savoir que l’on vit, idéal dont les sens, menteurs, mais impitoyables, lui barraient trop souvent la route : ce jour-là l’obstacle fut franchi.

Dans le petit salon du rez-de-chaussée, moderne et capitonné, beaucoup de monde : quelques sursauts de tête à son nom, le mouvement et les chuchotements habituels : « Un Entragues ? — Quel Entragues ? — Oh ! une épave d’Entragues ! Le nom est commun dans le Midi. — Pourtant il le porte bien. — La comtesse nous dira cela. » Hubert, sitôt délivré du cérémonial, chercha des yeux un ami près duquel assurer sa contenance : il trouva les yeux de Sixtine : un geste l’appelait.

Sans étonnement, il obéit, car il avait vu qu’une chaise attendait près d’elle, gardée par un éventail.

— « Je vous ai aperçu et comme je me juge très criminelle envers votre amitié et votre insistance… Voulez-vous donc me faire dénombrer vos cartes de visite ? Pourquoi ne pas m’écrire ?

— « Mais c’était vous voir dont j’avais besoin.

— « Eh bien, l’écriture a des magies étrangères aux formules imprimées. Au lieu de me chercher, il fallait m’appeler. Et vous avez cherché si mal !

— « Non puisque enfin je vous trouve.

— « Par hasard ! Êtes-vous content ? Vous vouliez me voir, regardez-moi.

— « C’est ce que je fais, répondit Hubert, et avec