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l’âme à des tournois esthétiques. Ils remontaient le boulevard. Au Luxembourg, Sanglade, ennuyé de monologuer, profita d’un ami passant pour redescendre. Durant qu’Entragues s’acheminait vers un calme café favorisé de tapis, où son horreur du bruit volontiers se reposait.

Depuis son retour, sauf, le premier matin, une courte entrevue, il avait pu abstraire Sixtine de son immédiate préoccupation. C’était avec une parfaite froideur qu’il avait recopié, en les francisant, les brèves notes de voyage où, sur la fin, le nom de cette femme, à peine connue, revenait à chaque verset, comme un amen. Mais, et il reconnaissait là l’occulte puissance des mots, la transcription matérielle de ces syllabes avait agi violemment sur son imagination. Il venait de vivre des heures entières avec elle, et maintenant que la puissance mystique de la vision était épuisée, il pensait encore à l’absente.

« Elle devait aller à Bagnoles pour un de ces maux imaginaires que les femmes ne songent à traiter qu’en leurs phases d’ennui. Inquiète ou ennuyée, elle avait ces deux airs voisins à presque égales doses. Alors si elle a un amour en tête, elle n’en serait qu’à la période où on s’interroge : incertaines questions, réponses incertaines ? Et l’ennui ? Il faut, pour l’expliquer, admettre que la marche ou le recul de ce caprice naissant ne tienne pas à sa volonté et qu’elle soit inconsciente de son propre sentiment. C’est cela : elle aime, d’où l’inquiétude ; sans le savoir, d’où l’ennui. Il faut observer cela. Peut-elle être revenue ? »