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autour de moi avec défiance, des raisonnements logiques et absurdes se multipliaient dans ma tête et leur fugacité me laissait un doute sur le lieu précis de mon existence actuelle : étais-je au milieu des broussailles et des précipices des Roches-Noires ? Non. Etais-je dans ma chambre et dans mon lit, loin des vipères et des grimaçantes pierres ? Peut-être. Voilà qu’au-dessus de la cheminée, la glace lentement change de teinte : son vert lunaire, son vert d’eau transparente sous des saules s’avive et se dore. On dirait qu’au centre de la lueur, comme sur la face même de la lune, des ombres se projettent avec des apparences de traits humains, tandis qu’autour de la vague figure, une ondulation lumineuse serpente comme des cheveux blonds dénoués et flottants. Sans que j’aie pu analyser le reste de la soudaine transformation, dans l’intervalle d’un clin d’yeux je la vois achevée. Clair et vivant, le portrait me regarde ; c’est, trait pour trait, celui de la jeune femme au reptile. Pendant des minutes, de longues et inoubliables minutes, la vision a resplendi, puis, comme sous un souffle, s’est évanouie.

15 septembre, le matin. — Je me suis réveillé vers la même heure, mais la glace est restée verte et je n’ai pas revu le portrait. Je ne pense qu’à cela : toute la journée d’hier, tant que Mme Sixtine Magne était avec nous, je la regardais ; quand elle n’était plus là, je l’évoquais.

15 septembre, le soir. — La comtesse, tantôt, sur les bords de l’Orne, m’interpelle : « À propos et le portrait ? L’avez-vous vu ? Non, vous l’auriez dit. D’ail-