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assez précises sur ce sujet, il se borna à les compléter par les indications suivantes :

« J’ai honte de l’avouer, tant cette maladie est banale : je m’ennuie. J’ai des réveils déchirants. Je ne crois à rien et je ne m’aime pas. Mon métier est triste : c’est d’expérimenter toutes les douleurs et toutes les horreurs de l’âme humaine, afin que les hommes se reconnaissent dans mon œuvre et disent : Bien rugi, lion ! Pourtant, je suis libre : sans obligations nocturnes, ni parasite, ni mondain, ni critique dramatique, je me couche tôt, quand il me plaît. Arrivé à la trentaine sans guère de relations sociales, ayant assez de revenu pour être indépendant, j’agis en tout à ma guise, insoucieux des habitudes générales et satisfait, par exemple, de témoigner mon mépris de la civilisation au gaz en soufflant ma lampe sur les dix heures. — Je suis libre, je n’ai ni femme, ni maîtresse. Les maîtresses, je les crains pour le trouble où elles jettent la régularité de mon travail ; mais des principes aux actes, une large lagune se creuse, chez les êtres sensitifs : à deux, je regrette la solitude ; seul, je ressens les inquiétudes du vide. Quand le commandement de la chair m’accroupit à des adorations sexuelles, je rougis d’une telle servilité et je me honnis, au premier instant lucide ; lorsque j’ai longtemps emmagasiné le poison concentré des semences vaines, des martellements me tympanisent, mon organisme s’affaisse et mon cerveau se trouble. N’ayant pas été dressé au cilice, aux pointes de fer, aux plaies adolories par la perpétuelle écorchure, au jeûne impitoyable, à la privation de som-