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Il se plaisait aussi à une courte et délicate séquence de Godeschalk, où sainte Marie-Madeleine « enveloppe de baisers » les pieds de Jésus « que de ses larmes elle a lavés » . Un moine du onzième siècle avait écrit un ouvrage intitulé : Le Rien dans les Ténèbres ; Entragues ne put jamais en trouver d’autre trace que la mention du titre : c’était un des livres inconnus qu’il aurait voulu lire.

Mis à part deux ou trois contempteurs de la vie actuelle, un strict logicien de la critique, un rêveur extrême et absolu, un extraordinaire fondeur de phrases et tailleur d’images, quelques poètes modernes, il n’ouvrait plus guère que de vétustes théologies et des dictionnaires : il avait la manie des lexiques, outils qui lui paraissaient, en général, plus intéressants que les œuvres, employait à collecter de tels instruments, souvent bien inutiles, des heures de flânerie. Ainsi se termina la première journée de son retour.

Le lendemain, après une nuit, où il avait revécu quelques-unes des minutes les plus caractéristiques passées avec Sixtine au château de Rabodanges, Hubert eut le soupçon que sa vie allait changer d’orientation, qu’une crise inévitable le menaçait. C’était une occasion propice au recueillement. Dans quelques semaines peut-être, — oh ! seulement peut-être ! — son moi aurait-il subi de sensibles modifications : il fallait, pour plus tard s’en rendre compte, noter les traits dominants de son état d’esprit actuel, procéder à un sommaire examen de conscience. Son carnet de voyage contenant déjà quelques remarques