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Ah ! il n’est pas écrit que la possession sera réciproque.

J’avoue que votre vision lunaire où je me reconnus, m’impressionna. Je vous crus longtemps destiné à me conquérir. La tradition ancienne et irraisonnable m’obsédait ainsi qu’une prophétie. Si vous l’aviez connue, dites ? en quels rets de mystère vous me captiez ! car les femmes courbent volontiers leurs caprices sous la Fatalité qui les sacre tragédiennes. Songez donc ! Être l’élue des siècles et des obscurs décrets de la Nécessité ! Tomber en des bras inévitables ! Subir une exceptionnelle loi, fabriquée tout exprès ! C’est ça qui vous rehausse l’état de femme et donne de la valeur au sexe.

Enfin, ô analytique romancier, vous n’avez su jouer de rien !

Vous l’écrirez, n’est-ce pas votre roman ? Eh bien, je refuse de le lire, parce qu’il sera plein de naïvetés pénibles. Naturellement, vous glorifierez votre intelligence, votre sensibilité et votre connaissance des âmes, et puis de la négation, le détachement…

Pourquoi m’avez-vous désirée, alors ? Si rien n’existe en dehors de vos imaginations, quel fantôme poursuiviez-vous ? Il faudrait pourtant s’entendre et se renseigner sur la qualité des mensonges que l’on affronte. Quel réveil au harem des ombres, parmi les formes que vous avez assassinées, barbe-bleue de l’idéal ! Les avez-vous comptées ? Je suis la septième, à n’en pas douter, celle qui ouvre l’armoire aux secrets… « Et ils lui passèrent leur épée au travers du corps. » Ainsi la Vie a tué le Rêve. Adieu. »