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notre partenaire s’enhardit, ô puissance de la parole ! un mot le remet à sa place ; s’il reste froid, nous avons cette consolation qu’après tout nous n’y perdons rien, puisque la conclusion est impossible.)

Donc j’épousai, ayant dix-huit ans, celui de mon élection : eh bien ! mon grand amour d’avant fut de la haine après. Comment cette métamorphose de mes sentiments ? Ce serait intéressant, n’est-ce pas ? mais encore aujourd’hui j’en ignore le mécanisme. Je crois que je fus pareille aux enfants qui veulent un jouet, absolument, crient, trépignent, se convulsent en de vraies douleurs, et sitôt qu’ils le tiennent en leurs petites mains, le jugent, le jettent, songeant : ce n’est que ça ? Celui que j’avais choisi n’était que ça. Il aimait ma chair et la dévorait en égoïste ; il proférait d’immodestes plaisanteries, avilissait en lupercales des actes au delà desquels je sentais un infini et le possible dévoilement du mystère ineffable. Je me croyais la créatrice même de la Joie et mes gros désirs, mes désirs gros de sanglots avortaient en un travail d’ilote : je compris ma destination.

(Imaginez qu’un rire le prenait après, un rire nerveux qui durait des minutes, un rire à scandaliser l’Enfer ! )

Oui, je compris ma destination et je la refusai. Je déniai une fois pour toutes le rôle de donneuse de plaisir et d’excitatrice aux effusions soulageantes. Je fermai ma porte, à jamais.

Eh bien, savez-vous ce qu’il advint ? Ce monstre m’aimait et ne pouvait vivre sans se vautrer sur les gazons de mon corps, au soleil de mes yeux. Il me