Page:Gourmont - Sixtine, 1923.djvu/290

Cette page n’a pas encore été corrigée

dressai fut bon, je serais… je serais vraiment au-dessous du plus naïf collégien. Hé ! il me reste une satisfaction de dilettante : je n’ai pas gagné la bataille moi-même, mais pareil au chef d’état-major général, j’ai ordonné la marche de la victoire. Oui, en somme, je serais l’organisateur de ma propre défaite… Voyons il s’agit de produire un raisonnement strict et de ne pas se perdre dans les méandres de l’analyse. Une preuve ? Il n’y en a pas, ou pas encore. Je dois, jusqu’au bout, respecter la dignité de mon sentiment. Coïncidences, vraisemblances, mais enfin, elle me donnera bien une explication. Alors, je jugerai. Quels reproches ? Elle a suivi son plaisir. »

Il entra dans un café où de chauds alcools le réconfortèrent. À ce moment il s’aperçut qu’il était transpercé de froid et qu’un frisson agitait ses mains. Ce n’était pas de froid seulement qu’il tremblait, mais son orgueil n’en voulait pas convenir et fièrement se drapait dans le manteau de l’ironie. Il n’admettait même pas que son cœur pût saigner sous une réelle blessure ; les douleurs où il daignait étancher sa soif originelle de souffrances étaient divines, spontanées, et non l’œuvre d’une main humaine. L’art de se mettre lui-même en croix, de se stigmatiser, comme un visionnaire, de mener en d’effroyables tortures, vers une agonie lente, son cœur labouré de morsures, l’art du bourreau de soi-même, il le possédait à un haut degré. Il avait volontairement sué des sueurs d’angoisse, mais que d’un mignon coup de gantelet une femme vint lui enfoncer dans le crâne la couronne d’épine, non, non, non ! — « Car enfin, pour souffrir,