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nous-même est divin. Que de fois pourtant, me suis-je grisé avec de la contemplation pure ! oui c’est encore une méthode. Toutes sont salutaires. Je me hais, je veux vivre une autre vie, je veux redresser idéalement les infirmités inhérentes à mon état charnel, je veux tromper mon âme sur les misères de mon corps… Il fallait l’aimer de loin, comme Guido aime sa madone. Le contact est destructeur du rêve. Tu ne connaîtras pas le livre d’amour où je t’aurais béatifiée, car il s’évanouira avec le désir, brûlé par les flammes de ton premier baiser. Le bûcher qui t’ouvrira le ciel consumera mes forces : tu monteras vers les espaces et moi je tomberai comme Satan, je tomberai pendant l’éternité dans les abîmes infernaux… Singulière déclamation et bien difficile à justifier ! Tout cela pour quelque plaisir que se donneront mutuellement deux êtres qui s’adorent. Les conséquences de l’union des sexes ne sont point, d’ordinaires, aussi tragiques… Je suis très bouleversé. Il est même urgent que le dénouement rende à l’un des acteurs toute sa sécurité. Ramener les choses au vrai : elle sera troublée et je serai apaisé, — très désirable résultat.

Car la fin d’une vie intelligente ce n’est pas de coucher avec la princesse de Trébizonde, mais de s’expliquer soi-même en ses motifs d’action par des faits ou par des gestes. L’écriture est révélatrice de l’acte intérieur ; il est bien moins important de sentir que de connaître l’ordonnance des sensations, et c’est la revanche de l’esprit sur le corps : rien n’existe que par le Verbe. Autant dire : le Verbe seul existe.