Page:Gourmont - Sixtine, 1923.djvu/253

Cette page n’a pas encore été corrigée

n’en ai jamais nié les plaisirs. Elle n’est ni bonne, ni mauvaise, elle est indifférente, elle est l’état conditionnel du rêve et voilà tout. Lui demander une station dans le bonheur, c’est accorder trop d’importance au mécanisme des sens, c’est se conformer aux invitations corporelles et aux normes de la matière, tandis que la volonté doit tendre vers l’affranchissement.

Mais je connais les périls de l’ascétisme et ses opprobres ; aussi ce sera plutôt de l’étonnement que de la honte que j’éprouverai à être heureux. Je ne croyais pas que cela fût écrit dans ma destinée. Cette attitude est convenable, car je ne puis, comme un sot, croire que « cela m’était dû », et malgré des lueurs d’humilité chrétienne, mon orgueil est trop superbe pour que j’admette bien longtemps l’infirmité de mes mérites. Personne, sans doute, n’a mérité d’être heureux, mais sans être pharisien, je ne dois pas m’estimer au-dessous de l’humanité moyenne : il y aurait, en un tel agenouillement, de la mollesse et de la lâcheté. A la coupe que me tend la main de cette charmante femme, il m’est permis, sans troubler l’ordonnance de mon idéalité vitale, de tremper mes lèvres ; puis je la ferai boire à mon tour ; puis, plus hardis, nous nous désaltérerons ensemble, humant, comme des moissonneurs penchés vers la fontaine fraîche, les délices du rafraîchissement.

Je laisse à Solange sa honte ; c’est un maniaque dont l’entendement perclus se refuse à cette notion : qu’à ceux-là il est permis de se conjouir ironiquement des chancres dont la vie est souillée, qui en souffrent