Page:Gourmont - Sixtine, 1923.djvu/249

Cette page n’a pas encore été corrigée

Sixtine est en mon pouvoir. C’est agréable, certainement très agréable.

Nous passerons de charmantes soirées. Elle est intelligente, je lui lirai mes manuscrits : j’ai besoin, çà et là, de l’opinion d’une femme. Il est étonnant que je ne sois point troublé davantage. Quand la reverrai-je ? Aujourd’hui ? Non. Demain ? Non. Mais je lui écrirai, deux fois par jour. Elle me répondra par de petites phrases brèves et impersonnelles, avec des sous-entendus de raillerie. Je me laisserai railler : étant sûr de mon fait, je le puis. Donc, mardi ? Nous verrons. Le bonheur me laisse froid et ses régulières perspectives m’attristent. Ainsi, j’ai couru, moi aussi, après la jolie bête et je suis content, de quoi ? d’avoir mis le pied sur son ombre.

L’HOMME ET LA JOLIE BÊTE

La route, sous le soleil, s’en va, blanche et poudreuse, s’en va sous le soleil.

La jolie bête, comment est-elle faite ? Elle court trop vite, on voit qu’elle court, on ne la voit pas, la jolie bête.

L’homme est tout nu, haletant et l’œil cruel, comme un chasseur, tout nu, pourtant, et désarmé.

Il court après la jolie bête : « Attends-moi, jolie bête, attends-moi ! » Il court après la jolie bête.

« Jolie bête, je vais t’attraper, ah ! jolie bête, je te tiens, jolie bête. »

L’homme a bondi, il a posé son pied sur la jolie bête,