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lien fictif qui nous annexe à une extériorité imaginaire : un petit effort le brise et nous sommes libres ! Libres, mais seuls, seuls, dans l’effroyable solitude où nous naissons, où nous vivons, où nous mourrons.

— « Quelle triste philosophie, mais quel orgueil !

— « Elle contient moins d’orgueil que de tristesse, et j’en donnerais bien l’arrogance pour n’en pas sentir l’amertume.

— « Qui vous a induit là ? interrogea-t-elle, intéressée par ces choses qui semblaient assez neuves pour son esprit.

— « Mais c’est naturel, comment concevoir une vie différente de ce qu’elle apparaît clairement à tout œil qui sait regarder ? Oui, peut-être qu’une certaine illusion est possible… C’est bien dommage sans doute, bien dommage pour moi, que je ne vous ai pas rencontrée plus tôt, des années plus tôt. Je vous aurais aimée et alors…

— « Qu’en serait-il advenu pour votre destinée ?

— « Vous m’auriez trompé sur la valeur de la vie, Madame, continua Hubert avec un lyrisme qui avoisinait le persiflage : j’aurais bu, comme une absinthe éternelle, la fluide illusion de vos yeux glauques et je me serais enchaîné à la vie par la chaîne dorée de vos cheveux blonds.

Elle se voila d’une indifférence brodée d’ironie légèrement, et, se croyant à l’abri d’un trop inquisiteur regard, répondit avec ingénuité :

— « Il y a des années, en effet, seulement trois,