Page:Gourmont - Sixtine, 1923.djvu/187

Cette page n’a pas encore été corrigée

je ne l’aurais pas trouvé toute seule ; d’ailleurs, cela m’est indifférent, puisque, pareille aux aures, je ne veux que ceci : être heureuse.

— Et vous ne l’êtes pas.

— Non, mais je puis l’être. Je vis là-dessus : c’est mon œuvre à moi, j’en ai pour jusqu’à ma dernière heure et je suis bien tranquille.

— Vous me donnerez votre secret, dit Entragues.

— Dès maintenant, dit Sixtine. Si une aventure semblable à la première m’advenait, ce n’est pas l’autre qui mourrait, ce serait moi. Vous avez peut-être compris que lorsqu’on me parle d’amour, ce n’est pas seulement la paix de mon cœur qui est en jeu, mais encore la lumière de mes yeux. Cela me donnerait, je crois, le droit de choisir : eh bien, je ne choisirai pas. Ainsi, je n’aurai rien à me reprocher, si je fais naufrage. Je n’aurai usurpé ni le porte-voix, ni la barre, je serai la passagère qui se couche au fond du bateau et vogue les yeux fermés. Et dire, ajouta-t-elle, comme en se parlant à elle-même, qu’il suffît de huit jours pour que je sois sur mer, embarquée vers des récifs, en une nef chavirante et sous des ordres inexpérimentés ! C’est ce qui m’attend, n’est-ce pas ? Aussi, j’aime autant ne pas partir, la vie ne m’est pas pénible, mais je partirai, car on m’enlèvera de terre et des bras… lesquels ?… me poseront sur les coussins au milieu du roulis… Ah ! je puis tout aussi bien faire une navigation très heureuse, un voyage de vraie plaisance par des océans pleins de soleil, avec, tout au bout, un port calme et tiède et des sourires d’âmes, jusqu’à la fin…