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esclaves. Je sais bien que la passion est plus forte que lui, mais vous êtes incapable d’aimer.

— Pas plus qu’une autre, dit nonchalamment Sixtine, et puis je ne demande qu’à me laisser faire. Je suis, vous l’ai-je pas dit, la pâte qui attend les mains du pétrisseur, et je ne puis pourtant pas me façonner toute seule. Mais, voyons, c’est vous qui venez me jouer de si pauvres airs de jalousie, d’un si vulgaire style ? Je vous croyais plus de dédain et un plus riche vocabulaire. Ah fi ! me chanter une telle romance : « Vous êtes incapable d’aimer ! » Eh bien, monsieur, et pour me servir de votre langue, je suis du moins capable d’être aimée. Comment, vous semblez croire qu’en amour il y a une catégorie de capacités, comme au temps du roi Louis-Philippe ? Ce serait, n’est-ce pas, une corde spéciale, qui manquerait à la cythare ? Tous les instruments humains sont complets et même, les femmes ont, sachez-le, des cordes de rechange. Mais les cytharistes habiles sont rares et la plupart des hommes ne savent pas seulement ordonner le préalable accord de l’instrument dont ils prétendent tirer des concertos. Je vous en prie, parlez-moi le langage d’un logicien, puisque telle est votre profession intellectuelle et ne vous imaginez pas que je sois une pensionnaire qui va se sentir brûler d’amour, par un très noble esprit de contradiction, au moment même où un homme lui dit cette adroite sottise : « Vous êtes incapable d’aimer. » Car vous êtes peut-être très habile et capable, oh ! très capable de me démontrer l’illogisme patent de mes déductions féminines. Mais, interrogez-moi donc !