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envie de railler doucement avant d’être moi-même raillé par les faits. Ce serait perdre tout. Ah ! mais, me voici impliqué dans de singulières intrigues ! Il va falloir surveiller mes actes, peser mes paroles : c’est pénible. Ah ! que je voudrais m’en aller ! Comme je voudrais n’avoir jamais connu cette femme, qui me tient là sous ses yeux et me compare avec l’autre ! Je le sens très bien : elle nous analyse, autant qu’une femme est capable de cette opération, elle nous mesure, elle nous pèse ; elle se demande lequel des deux lui donnerait le plus de plaisir. Et peut-être est-elle embarrassée, car si l’un, c’est moi, doit l’attirer par des affinités de race physiques et intellectuelles, l’autre lui fait subir la magie de la nouveauté, de l’inattendu, de la différence. Car elle est pervertie : sans cela, elle aurait un mari ou un amant. Les femmes qui attendent, qui veulent choisir, qui cherchent l’extrême possible sont capables de se décider, tout d’un coup, sous la pression d’une sensation inaccoutumée. Mais ce n’est pas la première fois qu’elle voit ce Moscowitch ? Oh ! non, mais tant que le voile n’aura pas été soulevé le mystère demeure intact et toujours aussi tentant. L’exportation, en France, des romans russes, cela doit être une entreprise des don Juans de la Neva : il faut, à cette heure, être Russe pour plaire. Oh ! que nous soyons russifiés aujourd’hui ou dans un siècle, cela est bien indifférent, puisque nous le serons : Tolstoï est le porte-drapeau et Dostoiewsky le clairon de l’avant-garde. Amen ! j’ouvre la porte à Moscowitch. Si l’on joue ses drames en place des miens et s’il me prend la maîtresse