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SIXTINE




I. — LES FEUILLES MORTES


« Lorsqu’elle fait ces sortes de chefs-d’œuvre, il est rare que la nature les offre à l’homme qui saurait les apprécier et se trouverait digne de les posséder. »

Kant, Essai sur le Beau, ch. iii.



Sous les sombres sapins sexagénaires dont les branches s’alourdissaient vers les pelouses jaunies, côte à côte ils allaient.

La comtesse Aubry, avec sa grâce de négociatrice d’amours mondaines, venait de les joindre brusquement l’un à l’autre, tels que deux prédestinés.

Ils se connaissaient un peu déjà. Ils se souvenaient de s’être entrevus, l’hiver passé, dans le salon de l’avenue Marigny, ce réceptacle de toutes les gloires en mal d’avortement, et, depuis huit jours que le château de Rabodanges les hospitalisait, parmi quelques malades pleins de distinction, ils avaient pu troquer, non sans pitié pour un si vain commerce, quelques joailleries fausses, quelques mots d’une vague luminosité.

L’un savait que Mme Sixtine Magne, veuve, n’avait tendu le col vers aucun collier neuf, — le croyait.