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Sophie, ma tante Azélia, vieille fille, et les deux chats de la maison, chères et précieuses créatures, on me donna des images à regarder avec ordre de ne plus bouger. C’était je ne sais plus quoi, des livraisons dépareillées, sacrifiées aux enfants pas sages. Je regardais et je lisais et voilà que je m’arrête, ayant trouvé mon idéal d’enfant : la Madone de Masolino da Panicale. Ce nom je le revis plus tard sous une lithographie bien différente, hélas ! encore qu’elle représente le même tableau et la même madone. Je me sentais pâlir d’émotion et de confusion : les yeux demi-ouverts me fixaient avec tendresse et l’inflexion de la tête était si câline, si amoureuse que mon cœur battait. Mais les yeux bientôt m’occupèrent uniquement : je dresse en rempart un des feuillets, je fais mine de lire plein d’attention, je suis chez moi, seul avec les divins yeux et je les contemple. Il se passa une heure, peut-être, ainsi, mais je voyais tant de beautés dans ces yeux profonds qu’il me sembla les avoir à peine regardés quand l’inflexible Azélia prononça la phrase quotidienne c’est-à-dire : « Le couvre-feu vient de sonner. » Rien ne sonnait dans la maison, ornée, pour pendules, de cartels de l’ancien temps ; c’était donc une métaphore ; elle y tenait et moi d’ordinaire je n’en souriais même pas. Ce soir-là je me mis presque en colère et je raillai tellement la vieille fille qu’elle m’envoya me coucher, « comme les chats vont au grenier, sans chandelle » . Brisé de ma journée je m’endormis et dormis comme on dort à treize ans, mais, dans la nuit, les yeux de la Madone me firent une visite et la physiologie seule pourrait expliquer l’inexplicable