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des faits et il n’y a plus que des protestations uniques, intérieures et inutiles.

En descendant le boulevard Saint-Michel, son pas se rythma paresseusement selon la démarche des flâneurs. Il regarda autour de lui et jugea que de cet autre milieu n’émanait pas un parfum d’essence supérieure : c’était la même évaporation d’inconscience. En bas, comme à mi-côte, comme en haut, par des voies pas très diverses, on cherchait le bonheur, sans se douter, comme dit le pasteur Manders, que chercher le bonheur dans cette vie, c’est là le véritable esprit de rébellion. Quant au droit social des uns ou des autres à même de l’illusion politique il était égal et également chimérique. Là-dessus, Hubert décida de lire un peu Hobbes, à la première occasion.

Mais, lui-même ? se croyait-il, par exemple, au-dessus ou seulement à côté de l’humanité ? Eh ! c’est là l’intime pensée de chacun des nobles exemplaires de la terre cuite que jadis un Dieu modela sur les bords du Tigre : moi et les autres, moi et les hommes, moi et le reste, etc. C’est grâce à ce procédé que l’on juge, que l’on écrit le roman ou l’histoire, que l’on raille en des comédies ou de plus brèves plaisanteries, que l’on juge. Juger, c’est l’universel et le particulier, c’est tout, c’est la vie. Le tribunal fameux, le tribunal de la conscience, avec l’égoïsme pour président et les vices pour assesseurs, n’est-ce pas ? Et lui aussi jugeait : au mépris de toute raison, il pesait l’impondérable et sondait l’impénétrable, c’est-à-dire la pensée d’autrui, sans réfléchir que l’on ne peut rien connaître en dehors de soi