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tu laissée ? Est-ce à mon intention, du moins ? As-tu voulu me faire la surprise d’une plus riche vêture habillant plus noblement ta sereine beauté ? Ah ! reine, ce trop beau manteau ne rapproche pas ton cœur de mon cœur, ni tes lèvres de mes lèvres ; alors, à quoi bon ? Tu étais bleue comme le ciel et comme la mer, bleue comme le rêve, bleue comme l’amour, pourquoi ce pourpre sanglant ? Dans quel fleuve de sang as-tu trempé ta grâce ? Ne t’avais-je pas offert le torrent de mes veines ? Reine, tu m’as trahi ! Tu me souris encore, mais ton sourire est cruel, tu railles, tu méprises ! Jour hostile où loin de mes larmes, tu as permis que de barbares mains soient venues profaner les membres que j’adore ! C’était à moi de te dévêtir, c’était à moi de t’envelopper, divine et nue, dans le manteau sacré de mes effusions. Ah ! vous me faites pleurer, Novella ! Quoi ! tu pleures aussi, chère Passion, tu m’aimes donc toujours ? Oh ! ne pleure pas ! Pardon, pardon, c’est moi le méchant, c’est moi l’inclément, et de plus, j’étais fou. Cela se comprend : j’ai cru te perdre. Mais non, n’est-ce pas ? Tu es à moi, plus que jamais, à moi seul ! Eh bien, que je sois tout à fait heureux ! Non ? Je t’en prie, je t’aime tant ! Pas encore ? C’est vrai, j’ai douté de toi, il faut souffrir, je veux souffrir. »