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tiques, est-il un esprit plus voisin d’un Chamfort que de George Sand. Écoutez cette froide réflexion : « On ne doit avoir ni amour ni haine pour les hommes qui gouvernent. On ne leur doit que les sentiments qu’on a pour son cocher : il conduit bien ou il conduit mal, voilà tout. La nation le garde ou le congédie, sur les observations qu’elle fait en le suivant des yeux. » On ne peut pas être plus net, plus clairvoyant, plus hautain.

Alfred de Vigny a dit de lui-même, dans un moment où sa lucidité surpassait son orgueil : « Je crois, ma foi, que je ne suis qu’une sorte de moraliste épique. C’est bien peu de chose. » Aucun homme ne se définit par un mot, et Vigny moins que tout autre. Cependant, il est vrai qu’il y a en lui du moraliste et vrai que la hauteur de son esprit a élevé parfois jusqu’à l’épopée les destinées dont il s’est fait le poète et l’historien. L’intellectualisme de Vigny, qui a ses racines dans un tempérament pessimiste, ne le préserva pas toujours des illusions non sur la valeur, qui est certaine, mais sur le genre de son œuvre. Le sévère jugement général qu’il porte sur lui-même ne l’empêche pas de se croire à l’occasion beaucoup plus philosophe qu’il ne l’est en réalité et c’est fort sincèrement qu’il écrit : « Avec la Maréchale d’Ancre j’essaye de faire lire une page d’histoire sur le théâtre. Avec Chatterton, Ressaye d’y faire lire une