plus difficile à prononcer et à placer convenablement, c’est moi. » Oui, quand il s’agit d’un moi si démesuré que celui de Vigny, d’un moi si vertueux si noble, si distingué ; mais il n’en est pas demême du moi qui est la simple constatation d’une existence propre et naturellement ressentie, d’un moi qui s’oppose à celui des autres, sans embarras, comme un fait se dresse devant un autre fait. Les gens qui emploient le plus naïvement ce mot et les autres formules personnelles sont souvent les moins égoïstes des hommes et surtout les moins vaniteux : ils se montrent, ils ne se jugent pas.
Comment, avec un tel sentiment, une telle conviction de ses perfections, Alfred de Vigny ne fut-il pas heureux ? Cela lui fut épargné précisément parce qu’il ne put accommoder ses qualités réellement supérieures avec la médiocrité de la vie, avec sa bassesse. Il le dit lui-même : « Le noble et l’ignoble sont les deux noms qui distinguent le mieux, à mes yeux, les deux races d’hommes qui vivent sur terre. Ce sont réellement deux races qui ne peuvent s’entendre en rien et ne sauraient vivre ensemble. » Entendez qu’il y a moi, le noble par excellence, et les autres, les ignobles, qui parlent une autre langue et avec lesquels la conversation est impossible. Il tenta bien de découvrir quelques esprits de son espèce, mais les liaisons ne furent pas durables. De là cet isolement magnifique, mais