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gnifiques. Vigny, qui ne va jamais jusqu’aux pompeux, demeure toujours dans le noble. Nul n’a fait mieux que lui les vers cornéliens. Ainsi que Corneille, il est systématique, dur, péremptoire :

J’aime ia majesté des souffrances humaines.

Ce qui le touche, c’est qu’elles sont majestueuses pour son esprit ; ce n’est pas qu’elles soient des souffrances pour son cœur. Et ainsi, jusque dans sa pitié, il y a de la froideur et une belle ordonnance esthétique. Mais Corneille, naturellement grave, est d’une race qui a encore ses heures de jovialité, au moins de familiarité. Alfred de Vigny est l’homme qui n’a jamais ri. Le rire vient de la conscience d’une supériorité momentanée, tellement évidente qu’elle se déploie joyeusement. Vigny, à tous les moments, en toutes les circonstances, se sent tellement supérieur au reste du monde qu’il ne s’en étonne jamais. Rien ne peut altérer sa sérénité, et comme il domine sa joie, il domine sa tristesse qui, du premier coup et tout naturellement, atteint au majestueux. C’est à lui qu’il pense en composant le beau vers cité plus haut et qui convient si peu à la plupart des souffrances, toujours mêlées d’égoïsme et de grotesque. Mais il a donné aux siennes une fois pour toutes l’attitude noble qui doit les diviniser au regard des hommes, et il oublie que l’humanité, qui n’a pas le loisir de se draper dans