Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér5, 1923.djvu/69

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cela. S’il avait pu tirer tout de lui-même, il aurait consenti à demeurer enfermé dans une cellule. Plus flâneur, Edmond était beaucoup moins talonné par la réalisation et beaucoup plus désintéressé. Il dut souvent remettre au lendemain la narration du fait qui l’avait frappé, ce qui n’est point d’ailleurs une mauvaise habitude ; Jules avait hâte de fixer la précieuse observation qui le payait d’avoir consenti à vivre dans le monde extérieur. Ni l’un ni l’autre ne semblent avoir participé à l’émotion sentimentale. Au moment que s’ouvre le Journal, Jules a une maîtresse, et quand il meurt, dix-huit ans plus tard, il est fidèle à la même habitude. Entre lui et cette Maria, rien de plus. Elle vient le voir un jour par semaine. C’est une fille du peuple, une sage-femme. Ainsi ce délicat, cet amateur de sensations rares n’a pas eu d’autres curiosités, en cet ordre, que le cœur d’une sage-femme. En cela, il est bien homme de lettres, et de la sorte la plus vulgaire, la plus sage aussi. Edmond n’eut pas même une Maria ; on ne devine rien de sa vie amoureuse. Il avait dû se marier autrefois et il eut quelque émotion à rencontrer plus tard son ancienne fiancée, un retour de rêve : et c’est tout. Donc, à moins que le Journal, ce qui serait bien surprenant, ait été fort discret sur le chapitre, ces deux hommes se sont voués à collectionner des impressions et des émotions d’art, d’histoire, bien plus