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choix d’un être ennoblissant l’acte nécessaire ; c’est l’espèce tout entière se mêlant en deux êtres avec une obscure frénésie. Pas de nom, pas de lendemain, mais un souvenir qui sera peut-être un regret, lors des rencontres trop civilisées.

Écrire sur l’amour, c’est surtout résumer ses expériences, ou ses espérances, quand on est en âge d’interroger l’avenir ; c’est, en un mot, se raconter soi-même. Je ne vois guère que Spinoza qui ait pu parler de l’amour avec un détachement parfait et une lucidité impersonnelle, situation que l’on considère généralement avec plus d’admiration que d’envie. En dehors de lui, il n’y a que des compilations, des aveux ou des désirs. Je mets les aveux au-dessus de tout. Je veux qu’un livre sur l’amour puisse être précédé d’une de ces anciennes estampes symboliques où le saint patient tient délicatement son cœur au bout de ses doigts. Et je passerais sur ce mauvais goût de l’image en faveur de sa candeur. Mais j’aime assez que ces aveux m’arrivent enveloppés dans une piquante et plaisante doctrine. Je compte sur ma perspicacité pour les découvrir comme « mouche en lait », tout simplement. Avant d’entamer l’éloge du célibat, Octave Uzanne en a mené sagement la vie, plus prudent que les poètes qui vantèrent l’ambroisie sans y avoir goûté. Cette précaution suffirait à me mettre en confiance si je n’avais mille autres raisons pour