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est né amant comme on est né mari. Il faut, pour cela, des qualités spéciales dont la première est la sensibilité, c’est-à-dire l’aptitude à la tendresse. La plupart des hommes confondent l’amour avec le besoin d’aimer, dont Banville disait que c’était une expression et une idée à faire reculer des étoiles, et, bien entendu, ils confondent audacieusement ce besoin d’aimer, que l’on pourrait encore prendre sous un certain sens sentimental, avec ce besoin génésique dont Havelock Ellis a fait tenir tout le mécanisme en ces deux mots fort indécents, tumescence et détumescence.

Sans doute, tout amour, le mystique même, a une base physique, et l’ayant maintes fois affirmé au grand scandale des imbéciles, je ne me contredirai pas en niant un parallélisme, d’ailleurs évident, mais la tumescence et son corollaire ne sont que des incidents naturels dans le roman de la tendresse. Lisez donc, page 19, la précieuse citation de Mme de Lambert. Vous verrez que ce qui symbolise tout l’amour pour le commun est peu de chose pour le véritable amant. J’ai même vu des amants d’expérience éluder ce « terme de l’amour », craignant douloureusement qu’il ne justifiât que trop son nom. Ils avaient tort, sans doute, avec toute leur expérience, car ce moment seul vaut par lui-même qu’on en risque l’épreuve. Le lien amoureux sort de la forge solide à supporter tous les