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ser à vous. Si vous me pouviez voir, vous vous repentiriez de vos sentiments pour moi. » Mais il sait bien qu’un sentiment ne se détruit pas avec des raisonnements, et, plus confiant au fond qu’il ne l’avoue, il ne peut s’empêcher de vouer, indigne, à sa « douce amie », une grande tendresse ; car, lui écrit-il, « vous m’avez ressuscité ». Cette jeune vie qui vient à lui rénove son cœur d’homme qui avait abdiqué. Il n’espérait plus rien, elle lui a rendu le sentiment qu’il avait perdu. Ici se manifeste le noble orgueil du poète. Il lui rendra cela en gloire. Parole que son génie a tenue, puisque cinq siècles et demi ont passé et que le Voir-Dit projette plus que jamais dans les imaginations la figure de Peronne d’Armentières. Sans Guillaume, elle serait morte comme ses sœurs, les autres femmes. Aimée et chantée par lui, elle vivra, peut-être éternelle, dans la mémoire et dans l’amour des hommes. Selon la nature, ils sont séparés, selon la civilisation et selon la poésie, ils sont unis. Qu’importe ceux qui peuvent rire d’une liaisons si disproportionnée ? Peronne a pour elle ceux qui songent dans leur cœur à un tel amour, ceux qui, rien que d’y songer, s’en trouvent « ressuscités », voudraient pouvoir répéter, comme Machaut : « Ni je ne puis saouler mon cœur de penser à vous ni de parler de vous à moi seul. » Les lettres de Guillaume, encore que touchées çà et là par la rhétorique amoureuse (il y était