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tion il n’y en a pas, ou il n’y en a que dans la psychologie humaine, dans cet état permanent d’insatiabilité où vivent les hommes et grâce auquel, quand on ne leur apporte pas tout fait ce nouveau qu’il leur faut à tout prix, ils le cherchent en eux-mêmes, ne le trouvent pas, et alors éclatent en une de ces révoltes physiques et destructives qui dépassent toujours le but qu’elles se proposaient.

Il nous faut du nouveau, n’en fût-il plus au monde.

Ce n’était pas le cas au seizième siècle. Il s’offrait à tous de toutes parts. Il allait venir de toutes les régions à la fois, de celles endormies dans les siècles et de celles endormies dans l’espace, de l’antiquité, dont on retrouvait l’histoire[1], de l’Amérique, qui n’avait pas encore de nom, de l’Asie, qui ne portait que des noms de légende sous lesquels il n’y avait guère que de l’imaginé, et qui allait enfin révéler sa réalité. Il y eut tant de nouveau révélé à la fois, presque au même moment, que cela força les esprits à un grand travail de classement qui les habitua à

  1. A vrai dire. l’antiquité n’avait guère jamais cessé d’être connue, quoique mal connue. A partir du douzième siècle on se passionna pour l’histoire de Rome, pour l’histoire de Troie, vue à travers des abrégés d’Homère, pour les gestes d’Alexandre ; le Roman de la rose provient tout droit de l’Art d’aimer, d’Ovide. Mais les poètes et les traducteurs (il y en avait déjà) avaient trop naïvement incorporé à la manière française les fables anciennes et le public était trop ignorant pour y découvrir aucun contraste avec les idées courantes. Ou plutôt il n’y avait pas encore de lecteurs, donc de public, il n’y avait que des écouteurs.