Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér5, 1923.djvu/13

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Guillaume de Machaut est le grand poète du quatorzième siècle et que si nous lui préférons peut-être Eustache Deschamps, de plus nerveuse allure, ce n’est pas sans reconnaître qu’il fut un initiateur, le vrai inventeur de la poésie lyrique personnelle et le vrai créateur, en vers, mais peu importe, du roman « vécu ». Il tint une grande place en son siècle, non pas seulement comme poète, mais comme ami et conseiller des princes. Jean de Luxembourg, Charles le Mauvais, le duc de Berry savaient que sa parole aurait du crédit près de la postérité et ils écoutèrent ses discours, et parfois ses avis. Les femmes l’admiraient et il les aimait. Son état de chanoine n’y fut pas un obstacle, non plus que pour Pétrarque ni pour bien d’autres. Au moyen âge, le caractère ecclésiastique n’a d’autre effet que d’élever la position sociale ou la fortune de qui le possède, de lui donner accès parmi la noblesse, de l’introduire dans la société, de lui permettre de participer aux divertissements distingués, le jeu, la chasse, l’amour et si, comme Guillaume de Machaut, il est poète et musicien, sa place mondaine peut devenir prépondérante. Il n’y a en lui rien du trouvère, rien du jongleur. S’il chante et s’il « fabloie », c’est pour son propre compte, pour son propre cœur. Il y a un parallélisme presque complet entre lui et son contemporain exact, Pétrarque. C’est par les mêmes moyens que tous deux ont vaincu la for-