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chaient guère, excepté peut-être Saint-Pol Roux, qui d’ailleurs avait la prétention de représenter l’école idéo-réaliste, et qui, en attendant de plus grandes œuvres, s’amusait à des petits poèmes en prose rythmique, dont quelques-uns, comme le Pèlerinage de Sainte-Anne, sont de bien curieuses merveilles. Les poètes, donc, restaient fidèles à l’esthétique parnassienne, et d’abord Albert Samain, cet homme charmant qui fuyait la gloire et ne s’est laissé atteindre par elle que dans la mort. Il végétait d’un modeste emploi à l’Hôtel de Ville, ne voyait que de rares amis, passait, timide et orgueilleux, dans la vie qu’il jugeait de loin et de haut, sans faire plus de bruit qu’un bon employé. Comme Léon Dierx, il dédaigna de s’élever au grade de rédacteur sous le prétexte que ses appointements d’expéditionnaire suffisaient à son ambition, mais en réalité par paresse de poète, par dédain d’une besogne qu’il voulait bien exécuter, mais non prendre au sérieux. Bon employé, oui, mais qui, parfois, au printemps, oubliait l’heure de rentrer après déjeuner. il humait l’air, les paupières un peu battantes, disait « Tiens ! il fait amour aujourd’hui », et on ne le revoyait de la journée. Aucun poète, depuis Verlaine, n’a été plus populaire : les trois petits volumes de vers de cet insouciant rapportent à ses héritiers un véritable revenu.