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de sa tête, car après avoir été le disciple de Mallarmé, il en devint commele rival, et sut, ce que Mallarmé même n’avait pu faire, grouper autour de sa doctrine presque tous les poêles de ce temps qui avaient une destinée et qui l’ont réalisée. Ghil, un moment, fut le maître de Henri de Régnier, de Verhaeren, Vielé-Griffin, Stuart Merrill. Je ne dirai presque rien de la doctrine, d’ailleurs défunte, de René Ghil et peu de chose de sa manière, qui en est l’illustration.

La doctrine veut être une explication méthodique du vers de Baudelaire. Les parfums, les couleurs et les sons se répondent, oui, mais il faut comprendre cela selon le sentiment et non pas selon la science. Or, le sentiment, comme l’a fort bien montré le philosophe Th. Ribot, est ce qu’il y a de plus profond en nous et de plus personnel. Les concordances entre un son et une couleur ne sont pas des rapports fixes, mais des impressions individuelles, et chacun, quand il les unit, le fait à sa guise et cette guise est infiniment variable. Une poétique basée sur des concordances aussi fugaces ne peut être prise longtemps au sérieux. D’ailleurs, dans les vers mêmes de René Ghill, il est difficile de jouir d’une harmonie qui, théoriquement, devrait être merveilleuse. Il comptait que par ses poèmes l’hallucination de l’œil évoquerait des couleurs, à mesure que les sons frapperaient l’oreille. J’ai le regret de lui