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la pensée distraite, repart, arrive enfin au but que son caprice ne perd pas de vue. Jamais le vers de Verlaine ne sent l’effort, la rature, le recommencement. Le petit poème, souvent un sonnet, se déroule avec une parfaite certitude, selon une franche unité de rythme, selon une musique qui chante intérieurement en lui. La poésie de Verlaine, forme et pensée, est toute spontanée ; c’est fondu à la cire perdue ; elle est ou n’est pas. Rien n’y indique la retouche. La manière ne change pas, que l’inspiration soit religieuse ou libertine, c’est la même fluidité pure, que le ruisseau roule sur des herbes ou sur du gravier, et sa voix dit toujours la même chanson amoureuse, que son amour rie aux femmes ou aux anges, et c’est presque la même sensualité. Lui-même a fondu en un recueil, Parallèlement, ces deux nuances de son rêve, érotisme et mysticisme.

De bonne foi, Verlaine, rénovateur du sentiment poétique, créateur de son verbe et de son vers, se crut le type du poète décadent. Il a exprimé cela magnifiquement

Je suis l’empire à la fin de la décadence.

L’idée et le mot venaient de Huysmans, qui dessina, en des Esseintes, fantoche fameux, le type même de l’amateur de toutes les décadences. Cela