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Jean-Jacques, Chateaubriand ne peut l’ignorer, et, le connaissant, il le prend pour point de départ de sa course. C’est inévitable. On ne peut faire abstraction que de ce qu’on ignore. Il y a une fatalité. Les tragédistes d’aujourd’hui, qui veulent ignorer le drame romantique, et remonter tout droit à Sophocle, n’imitent pas Shakespeare, peut-être, ni Victor Hugo ; mais ils ne suivent pas davantage Sophocle, ils partent de Jules Lacroix et de Mounet-Sully. On méprise le drame, on veut renouer plus haut et l’on est La Tour-Saint-Ybars « qui rénova la tragédie classique ». Il y a le nouveau et il y a le vieux neuf. Même si le nouveau est fou, il faut, quand on naît à l’action, partir de cette folie. Victor Hugo, qui avait le sens de la vie, se voulant dramaturge, n’alla point perfectionner Lebrun ou Népomucène : il rendit lyriques les mélodrames du boulevard du Temple ; il prit le genre à la mode, y jeta le ferment de son génie, et cela donna des œuvres qui, si elles sont d’une beauté incertaine, ne sont pas du moins des rhabillages. Il n’y a point de honte à être de son heure exacte et à suivre la mode. Je ne goûte pas beaucoup les œuvres indépendantes de leur moment historique ; le jeu qu’on appelle pastiche n’est pas séduisant. René est donc malade, un peu parce que c’était la mode d’être malade, d’où son succès. Il était ma-