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bon qu’il y ait eu Hernani depuis Rhadamante et Zénobie. Encore que Mardoche soit ridicule, il est bon qu’il y ait eu Mardoche depuis les Hasards du coin du feu. L’idée que le romantisme n’eût pas existé me fait frémir. Va-t-on me démontrer qu’il a corrompu mon intelligence ? Cette corruption m’est précieuse, car je ne la sens pas comme corruption ; je la sens comme un état habituel, hors duquel je me trouverais différent, c’est-à-dire diminué.

Une petite revue d’enseignement populaire, que j’entrouvre, veut m’indigner, non contre les crimes, que je pourrais déplorer, mais contre les débauches du clergé au quatorzième siècle. Elle réussit à me récréer vivement. Je suis enchanté d’apprendre que les couvents étaient des lieux de plaisance où les cavaliers allaient faire la cour aux jeunes nonnes et conquérir leurs faveurs. Mais on ne me l’apprend pas, je le savais, et je continue de croire que l’esprit de ce temps était plus humain que le nôtre, en permettant des compensations aux filles privées du mariage par le préjugé ou l’intérêt social. Je continue aussi de croire que, dans le même, temps exactement, il y avait des cloîtres sérieux et même trop sérieux. Tout a toujours existé et tout a toujours coexisté. Le romantisme a eu ses fous, il a eu ses sages. Avant d’avoir Michelet, il a eu Chateaubriand ; et au temps même de Michelet, il