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rejeter la religion des sens, la seule qui convienne au peuple. Il n’est pas plus difficile de croire le tout qu’une partie, et lorsqu’on admet l’incarnation, il n’en coûte pas davantage d’adopter la présence réelle. » Ces chapitres sont clos par une contre-objection poétique et sentimentale. Si la religion est quelquefois utile aux malheureux, qu’importe qu’elle soit fausse ? « Qu’importe qu’elle soit une illusion, si cette illusion les soulage d’une partie du fardeau de l’existence ; si elle veille dans les longues nuits à son chevet solitaire et trempé de larmes ; si enfin elle lui rend le dernier service de l’amitié, en fermant elle-même sa paupière, lorsque, seul et abandonné sur la couche du misérable, il s’évanouit dans la mort ? » C’est sur cette même page que l’auteur écrivait, en une note secrète ; « … J’étais bien obligé de mettre cela à cause des sots[1]. »

Après avoir considéré la religion abstraite, Chateaubriand passe à la religion concrète, qui se rend visible dans le prêtre. Le prêtre est partout le même ; partout et dans tous les temps il a pratiqué la fourberie et l’imposture ; partout, il a été persécuteur, aussi bien des sophistes grecs que des philosophes modernes. Mais des prêtres de l’anti-

  1. Essai, p. 593.