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il est à croire qu’elle pourra souffrir également dans une autre vie : conséquemment, l’autre monde ne vaut pas mieux que celui-ci. Ne désirons donc point survivre à nos cendres, mourrons donc entiers de peur de souffrir ailleurs. Cette vie-ci doit nous corriger de la manie d’être. » Le raisonnement n’est pas très bon. Il est bien évident que les peines mentales ne sont pas moins que les autres des peines corporelles, puisque nous sentons et nous pensons avec notre système nerveux, lequel fait éminemment partie de notre corps. Mais ce sentiment de ne pas désirer la survie est noble. Chateaubriand était doué d’un bon esprit philosophique et il aurait pu devenir un des libérateurs du monde, tout aussi bien qu’il s’en fit un des trompeurs les plus dangereux pour les cœurs simples. Trompeur ! car, s’il éprouva dans la suite l’illusion de croire aux promesses de l’Église, désira-t-il vraiment, à aucun moment de sa vie, lui, le grand solitaire, la triste promiscuité du paradis chrétien ?

Il ne faut pas lui demander des notions bien exactes sur l’histoire de la naissance, de la maturité et de la décadence du christianisme. Il parle d’abord de l’évangile dans un sentiment tout pareil à celui de Jean-Jacques, mais il finira par discuter la réalité et l’authenticité des évangiles. L’historien se veut impartial, mais le philosophe reparaît bien-