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Ce n’est pas une manière que je réprouve, bien au contraire. Elle n’est pas la marque d’un génie ordonné, mais elle dénote une grande richesse intellectuelle et le don, si rare, de rassembler les idées en apparence les plus opposées et d’en montrer la connexité, qui échappe toujours au vulgaire. De tels esprits ne sont jamais fanatiques et c’est fort justement que Chateaubriand a pu écrire : « Je ne suis l’écrivain d’aucune secte et je conçois fort bien qu’il peut exister de très honnêtes gens avec des notions des choses différentes des miennes[1]. Peut-être la vraie sagesse consiste-t-elle à être, non sans principes, mais sans opinions déterminées. »

C’est en se souvenant de cette déclaration que j’examinerai les opinions religieuses exprimées dans l’Essai. Cela ne diminuera pas sensiblement le contraste entre l’Essai et le Génie, mais cela le rendra peut-être moins brutal. Deux êtres opposés semblent avoir collaboré à l’Essai, un chrétien à la Jean-Jacques, un philosophe à la Helvétius. Que le Génie ait développé le premier et fait éclore un catholique, c’était logique, mais le second aurait pu se perpétuer et s’affirmer, cela eût été logique encore. Ici, logique intellectuelle, et là, logique sentimentale. C’est la logique sentimentale qui devait

  1. Comparer cela avec la déclaration de l’abbé Noël, p. 105, en note.