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— Cependant, dis-je, ils sont chrétiens, protestants, sans doute ?

— Nullement. Leur dieu n’est pas le nôtre. Ils le nomment Pantagruel et sa vie terrestre est contée dans le Livre dont j’ai oublié le titre. Ce livre est peut-être une manière de Bible contrefaite ; mais ce n’est pas la Bible.

« Pantagruel était un géant qui n’eut pas une naissance ordinaire ; il vint au monde par l’oreille de sa mère, Gargamelle.

« Avant lui, le monde était agité par de terribles guerres.

« Il établit la paix, qui n’a plus été jamais troublée. Il était très fort, très grand, mangeait un bœuf, comme on mange une grive, vidait d’une lampée un fût de cent arobes ; et probablement qu’il avait, comme l’Ogre, des bottes de sept lieues pour traverser la Cordillière. Ce Pantagruel est pour eux, à part sa goinfrerie, un modèle de vertu et d’obéissance qu’ils donnent à leurs enfants.

« Modèle facile à suivre d’ailleurs puisque la première maxime de sa morale est (selon leur langage) ; Fay ce que vouldras. Après avoir enseigné ce beau précepte aux Aventurins, Pantagruel se dirigea vers la mer, avec un de ses disciples nommé Panurge, monta sur un navire mystérieux qui attendait et disparut sur la mer Orientale. Il avait