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vinrent fonder un établissement dans la baie de Rio de Janeiro. Ils eurent des démêlés avecles Portugais, qui leur enlevèrent par surprise un fortin construit sur un îlot voisin de la pointe du Croissant qu’on appelle à cette heure Nictheroy. La garnison, ayant vu s’éloigner le navire qui les avait inutilement bombardés, était sortie en masse pour aller se ravitailler, c’est-à-dire à la chasse. Quand elle revint, tout brûlait, le fort et les cabanes ; les canots avaient disparu : la petite troupe se trouvait à la merci des Indiens, très nombreux tout autour de la baie. Le commandant, un aventurier fini, eut vite fait de prendre un parti : avec les soixante hommes qui lui restaient il s’enfonça dans le pays, se rêvant déjà les destinées d’un nouveau Pizarre, en quête d’un Pérou ou d’un Eldorado. Il faut vous dire qu’ils avaient, avec eux, une femme jeune et belle. Maîtresse du commandant, elle était le véritable chef des hommes, qui obéissaient comme des enfants à ses gestes, à ses regards. Tous, une fois, une seule fois, avaient eu ses faveurs, et tous attendaient le sourire qui leur annoncerait la seconde nuit. Il paraît qu’ils ont conservé ce moyen de gouvernement. Les actions de courage ou de vertu sont récompensées par la possession d’une belle fille, fière d’avoir été choisie comme la plus belle. C’est une manière de décoration. Elle a son charme