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San Luis, je me joignis à une caravane qui allait jusqu’à San Juan, au pied des Andes. C’est à partir de ce moment que le voyage allait devenir vraiment pénible et hasardeux. Mais, grâce à un nombre raisonnable de piastres, une troupe de contrebandiers me prit sous sa protection, et nous partîmes en suivant les méandres du Rio Castano.

Comme mes cartes, avec d’autres bagages, m’avaient été volées à Mendoza et que je n’avais pu me procurer à San Juan que des indications verbales, je ne pouvais relever ma route et, en vérité, surtout en pareille compagnie, c’était marcher à l’aventure.

Le chef de la bande était un ancien colonel de l’armée fédérale que les malheurs de la paix avaient réduit à ce métier équivoque. Il ne se plaignait pas, ses hommes, vieux miliciens, étant assez disciplinés, et les autorités de San Juan ne demandant pas mieux que de partager les bénéfices de la contrebande, sans en courir les risques.

— Don José, lui demandai-je un jour, voyons, franchement, vous ne mettez que huit jours pour gagner la frontière du Chili ? On compte, il me semble, à cause des détours, près de cent cinquante lieues de San Juan au Portillo de Vento ?

Il me laissa dire, puis répondit tranquillement :

— Nous n’allons pas au Chili. Ce n’est pas avec le Chili que nous faisons la contrebande.