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Il n’y avait plus que de la colère dans ses grands yeux, qui devenaient effrayants. Je ne savais que faire pour la reconquérir, ni en quelle langue lui parler, quand je l’entendis qui criait en frappant du pied :

« Oh ! je me revengerai des Tourcs et de houmes ! »

Alors je m’approchai et je lui dis doucement :

« Parle-moi, Louma, je te comprendrai, car je t’aime.

— O Dieu ! J’ai donc une amie ! »

Louma me pressait les mains avec violence. Encore une fois elle tomba dans mes bras. Au milieu de ses sanglots elle me couvrait de baisers le cou et la joue. Je la couchai sur moi comme un petit enfant et je la berçai en lui disant de douces paroles. Ce fut le premier moment de joie pure que j’épouvais depuis mon enlèvement.

J’oubliai avec Louma l’habitude des tendresses équivoques. Toutes deux serves d’un tyran voluptueux, nous fûmes deux sœurs aux yeux limpides et aux mains chastes. S’il n’y avait pas Louma dans mon aventure, je n’aurais pas osé vous parler de Caroline. Mais Louma m’a rendu mon cœur de jeune fille. Elle est toujours mon amie ; elle vit près de moi et ne me quittera jamais, l’une pour l’autre témoin cruel et bien-aimé d’une honteuse