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jeunes filles enfermées dans les maisons des pachas et des beys. Mon histoire est tant vieille que j’en aurais honte si vous n’existiez pas. La voici.

Je me promenais donc aux environs de Brousse avec Vittoria, ma chère nourrice, qui me contait les contes de son pays natal, et me disait les vers d’amour que l’on chante, quand vient le joli mois de mai :

Maju maju beni venga
Cun tutu su sole e amore,
Cun s’arma e cun su fiore
Et cun su margaritina…

et moi, qui suis Pérugine, je lui répondais :

Or è di maggio, el fiorita è il limone,
Ora è di maggio, e gli è fiorito i rami,
Ora è di maggio che fiorito è i fiori,
Noi salutiamo di casa il padrone,
Salutiam le ragazze co’suoi dami,
Salutiam le ragazze co’suoi smori…

Elle m’embrassait, toute gaie et rajeunie, et nous nous amusions beaucoup, quand trois hommes fort vilains, avec de grandes moustaches et des yeux terribles, surgirent comme de terre ; nous n’eûmes pas le temps de crier : des mains, puis un mouchoir nous bâillonnèrent ; on nous banda aussi les yeux.

Je m’évanouis au moment de me sentir jetée