Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/353

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lui peut-être, mais je n’ai pas voulu en croire mon instinct. Nous sommes épiés, enveloppés de ruses. Je me gardais et je vous gardais. Ni les rappels de la vie passée ne me prouvaient rien : quelqu’un pouvait avoir surpris nos secrets ; ni le son de votre voix : un enchanteur pouvait la contrefaire ; ni votre anneau : on pouvait vous l’avoir pris par ruse. Je me suis rendue pourtant à la vue de l’anneau : n’avais-je pas juré que, le jour où je le verrais, je ferais aussitôt tout ce que vous me manderiez, que ce fût sagesse ou folie ? Tant que je ne l’ai pas vu, j’ai persisté à me défendre, à nous défendre ; quand je l’ai vu, au risque de nous perdre, mais l’ayant promis, j’ai cédé… » Tel est, à mon sens, la forme première de l’épisode, bien qu’aucun texte ne la conserve ; seule elle satisfait l’esprit. Par elle seule Iseut n’est pas humiliée, ni Tristan suspect d’avoir joué son amie… Seulement, si cela est — et c’est ici que votre critique porte — il est très sot que, dans le vieux poème comme dans mon livre, Iseut, à la vue de l’anneau s’écrie

Lasse ! fait el, tant sui fole !
Ha ! mauvais cuers, por quei ne fonx
Quant ne conois la rien el mont
Qui por moi a plus de formant ?
Sire, merci ! Je m’en repant…