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est en garde contre une ruse possible, ni l’anneau ne prouve, ni la voix. L’anneau peut avoir été volé, mais la voix peut être imitée par sortilège. Pourtant, il faut bien que l’épisode se dénoue, qu’Iseut se rende enfin, et, à y bien réfléchir, la reconnaissance par la voix me semble d’une invention malheureuse. Iseut peut reprocher à Tristan de n’avoir pas repris sa voix naturelle avant de la soumettre à l’humiliation de se faire reconnaître d’abord par son chien. Est-ce sa faute si le chien a des sens plus subtils, l’odorat plus fin, l’ouïe plus délicate ? — Le tragique de la scène est ici : Tristan se présente méconnaissable devant la reine. Il sait bien qu’il n’est pas emprisonné dans son déguisement, qu’il peut à sa volonté reprendre sa forme, montrer l’anneau. Mais il doute d’Iseut, se croit abandonné, trahi. Il veut qu’elle le reconnaisse à des signes moins matériels, au seul rappel de leur amours passées, au son de son âme plutôt qu’au son de sa voix. L’épreuve ne réussit pas : il se désole, s’indigne, oppose à son amie oublieuse la fidélité de son chien. Enfin il montre à Iseut l’anneau de jaspe vert. Iseut avoue alors qu’il est Tristan et peut lui expliquer ainsi ses longues résistances : « Que m’opposiez-vous la fidélité de votre chien ? Il a suivi son instinct, au risque de vous faire pendre et tuer. Moi, je vous ai connu aussi vite que